Que signifie age quod agis?

Plusieurs pistes s'offrent sur internet.

1) La piste Plaute, auteur de comédies latines du IIème siècle.
-a) Age si quid agis; vigila, ne somno stude.
Traduit par Ernout, extrait du Miles Gloriosus, v.215 (Plaute, Comédies, Tome IV, CUF, 1936), ce vers signifie : "Au travail, voyons, au travail. Ouvre l'oeil, ne t'endors pas..." Ces paroles sont prononcées par le maître qui essaie de remuer son esclave, une sorte de Scapin méditant une machination.

- b) Age si quid agis.
Traduit par Ernout, extrait du Persa, v.659 (Plaute, Comédies, tome V), ce morceau de vers signifie: "Décide-toi, si tu te décides". L'esclave Toxile, qui sert d'intermédiaire, invite par ses mots le marchand d'esclaves Dordale à prendre une décision rapide.

- c) EUCLION: - Ecquid agis?  STROBILE: -Quid agam?
Extrait de Aulularia, v.636 (Plaute, Comédies, Tome I), ce passage, semble-t-il, est cité à tort par des moteurs de recherche.



Il n'y a qu'à voir la ponctuation retenue par Ernout ainsi que la répartition des paroles entre le Vieillard Euclion et l'esclave Strobile (l
e dialogue signifierait: - Que fais-tu? -Ce que je fais?). Cette scène a été imitée par Molière dans l'Avare, acte I, scène 3 entre Harpagon et la Flèche.

- d) Une référence (Stichus, v.715) que je n'ai pu vérifier d'une édition de Plaute en catalan (Comèdies, vol.IX, Esticus, Les tres monedes, Barcelona, 1955).

2) Une variante d'une fable d'Esope récrite par un auteur du Moyen-Âge connu sous le nom (vrai ou supposé) de Walter l'Anglais. Intitulée De Accipitre et Columbis (Le Faucon et les Colombes, n°22 du recueil de Walter), cette fable existe sous d'autres versions dans d'autres recueils de fables.

-Si quid agis, prudenter agas et respice finem.
Traduction (libre): Tout ce que tu fais, fais-le avec prudence et en regardant aux conséquences.
Cette morale assez banale rappelle celle du Renard et le Bouc de La Fontaine (Livre III, fable 5):
"En toute chose, il faut considérer la fin". La Fontaine adapte très librement une fable du recueil latin de Phèdre (livre IV, fable 9: le lien vous la donne en latin et en traduction juxta-linéaire).

J'imagine que je n'en ai pas fini avec les diverses formulations... A suivre donc...


3) La formule est citée par Flaubert qui la met dans la bouche du pharmacien Homais (Madame Bovary, III.2) en colère contre son commis Justin:

– Voilà comme tu reconnais les bontés qu’on a pour toi ! voilà comme tu me récompenses des soins tout paternels que je te prodigue ! Car, sans moi, où serais-tu ? que ferais-tu ? Qui te fournit la nourriture, l’éducation, l’habillement, et tous les moyens de figurer un jour, avec honneur dans les rangs de la société ! Mais il faut pour cela suer ferme sur l’aviron, et acquérir, comme on dit, du cal aux mains. Fabricando fit faber, age quod agis.

Il citait du latin, tant il était exaspéré. Il eût cité du chinois et du groenlandais, s’il eût connu ces deux langues ; car il se trouvait dans une de ces crises où l’âme entière montre indistinctement ce qu’elle enferme, comme l’Océan, qui, dans les tempêtes, s’entrouvre depuis les fucus de son rivage jusqu’au sable de ses abîmes.


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Pour conclure, au moins provisoirement, la formule paraît refaite d'après Plaute, chez qui elle a le sens assez banal  de "allez, presse-toi", "fais ce que tu as à faire". Je ne sais toujours pas qui a mis en circulation la formule telle que nous la connaissons aujourd'hui. Flaubert laisse clairement entendre que cette formule est déjà un poncif en 1850. Ce qui lui donne un air mystérieux vient visiblement de la répétition du mot latin "agere" (agir): on sait si peu ce que signifie ce petit mot "agir", et il a tellement d'importance, qu'on s'en remet à une devise totalement tautologique, mais qui a peut-être le mérite de nous faire réfléchir...




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